Publié le 29/11/24 par Inafon National
(Cass. 1ère civ. 2-10-2024, n°22-19.672)
Le liquidateur se doit aussi de bien distinguer les « vraies » donations-partages des actes intitulés comme telles, mais qui n’attribuent pas un lot divis à chacun des donataires copartagés (les fameuses « donations-partages fiscales » ou « donations-partages de quotités »), ce qui est de nature à modifier leur qualification apparente, et à entraîner le retour au « droit commun » de la liquidation successorale (et spécialement l’obligation au rapport).
Ainsi, entre l’application totale du régime liquidatif propre aux donations-partages, son application seulement partielle ou son exclusion pure et simple, il existe parfois des confusions qu’un arrêt récent de la Cour de cassation (Cass. 1ère civ. 2-10-2024, n°22-19.672 F-D), nous permet de rappeler.
Dans cette affaire, la Cour de cassation était saisie d’un litige entre quatre enfants, en désaccord sur le règlement de la succession de leurs parents.
Devant la Cour d’appel deux des héritiers avaient contesté le projet de liquidation-partage établi par le notaire, notamment en ce qu’il prévoyait le rapport de la donation-partage conjonctive réalisée par les parents au profit de trois enfants sur les quatre, alors que les donations-partages ne sont pas soumises au rapport successoral.
Ladite Cour d’appel avait repoussé l’argument, considérant que le projet ne comportait qu'une erreur de formulation et non de liquidation « (…) bien qu'employant le terme de rapport, n'opère pas celui de la donation-partage, mais procède seulement à l'incorporation des biens donnés à l'actif de la succession, pour être ensuite imputés et déduits de la réserve, conformément à l'article 922 du code civil ».
En désaccord avec cette analyse les deux enfants forment alors un pourvoi devant la Cour de cassation, qui casse l’arrêt d’appel en usant de son contrôle de dénaturation.
Pour la haute juridiction et contrairement à ce qu’avaient indiqué les juges du fond, le projet de liquidation-partage ne se limitait pas à une réunion fictive et une imputation des lots de la donation-partage en vue de vérifier l’intégrité des réserves. Il prévoyait effectivement le rapport desdits lots à la masse partageable : « (…) en statuant ainsi, alors qu'après avoir intégré la valeur des biens donnés à la masse de calcul de la quotité disponible, imputé la valeur au jour du décès de chaque lot sur la réserve individuelle de son attributaire, constaté qu'elle ne l'excédait pas et en avoir déduit qu'aucune indemnité de réduction n'était due, le projet d'acte de liquidation et partage établit la masse partageable de chacune des successions, puis la masse partageable globale, en y intégrant le rapport des biens compris dans la donation-partage, d'après leur valeur au jour de leur vente, s'agissant des biens donnés à M. [S] [X] et à Mme [K] [X], et d'après leur valeur au jour du partage, dans leur état au jour de la donation, pour ceux donnés à M. [U] [X], la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé »
Observations
Au-delà du seul contrôle de dénaturation qu’elle opère, cette décision de la Cour de cassation donne l’occasion de rappeler qu’une donation-partage n’est pas soumise au rapport aux fins d’égalité de l’article 843 du Code civil… y compris lorsqu’elle ne respecte pas les conditions de l’article 1078 du même Code.
Il est connu en effet que la donation-partage, parce qu’elle opère déjà un partage anticipé de succession, ne saurait être soumise au rapport qui s’analyse en une opération préliminaire du partage successoral (v. Cass. 1ère civ., 16 juillet 1997 n°95-13316 : Bull. civ. I, n°252 ; D. 1997, somm. p. 370, comm. M. Grimaldi ; v. aussi, 70 questions de donations-partage, D. Epailly avec les contributions de I. Cap et C. Durassier, n°641 et . ; n°819 et s.).
Contrairement à ce que l’on pense parfois, cette règle vaut même lorsque la donation-partage ne respecte pas les conditions de l’article 1078 du Code civil (allotissement de tous les enfants, acceptation des lots, absence de réserve d’usufruit sur une somme d’argent), et notamment, comme en l’espèce, lorsque l’un des enfants n’est pas alloti.
En effet, ce texte ne concerne que les règles d’évaluation des lots dans le but exclusif de rechercher, et le cas échéant mesurer, une éventuelle atteinte à la réserve. Si toutes les conditions qu’il posent sont respectées, l’évaluation s’opère au jour de l’acte (évaluation « bloquée »). A défaut, il faut revenir au « droit commun » de l’article 922 du Code civil (donc une évaluation en « valeur décès » si le bien est conservé, en « valeur aliénation » si le bien est vendu sans remploi, en valeur du « bien subrogé » en cas de remploi, le tout avec le correctif de « l’état du bien » - sur toutes ces notions, v. le « Guide de liquidation successorale » dans la documentation www.alsnot.fr). Mais en tout état de cause, que les conditions soient respectées ou non, il n’est jamais question de rapport à succession.
Reste que tout que ce qui vient d’être dit ne vaut que pour les « vraies » donations-partages, c’est-à-dire celles comportant des lots divis exclusivement. A défaut, s’il subsiste une indivision, même partielle, entre les enfants, l’acte présenté comme une « donation-partage » peut être disqualifié en un ensemble de donations ordinaires présumées rapportables (Cass. 1re civ., 6 mars 2013 n°11-21892 : Bull. civ. I, n°34 ; v. aussi, 70 questions de donations-partages, précités, n°231 et s.).
Le liquidateur doit donc bien distinguer trois hypothèses :
On rappellera enfin qu’en présence d’une « vraie » donation-partage, la recherche d’une éventuelle atteinte à la réserve s’opère selon une méthode particulière qui semble également avoir été ignorée dans l’affaire en cause.
Cette méthode, qui se déduit de l’article 1077-1 du Code civil, conduit schématiquement à commencer par vérifier si la donation-partage a fourni à tous les enfants leurs part de réserve puis à rechercher, à défaut, s’il est possible de leur fournir un « complément » au moyen des biens existants de la succession et/ou des donations rapportables qu’ils ont pu recevoir. Une telle méthode est utile précisément parce qu'elle tient compte du fait que les lots de la donation-partage ne sont pas rapportables...
On sait aussi qu’elle fait l’objet d’interprétations divergentes en doctrine et devant les juges du fond (Paris/Carpentras)… mais c’est là une autre question sur laquelle un nouvel arrêt de la Cour de cassation serait le bienvenu (sur ce sujet, v. notamment notre article : « De quelques remarques sur les propositions relatives à l'adaptation de la réserve héréditaire SNH 16 oct. 2020, v. aussi la documentation www.alsnot.fr ).
Note rédigée par David EPAILLY, Responsable Pédagogique et Scientifique à l'INAFON
Afin d'approfondir le sujet, nous vous invitons à suivre les formations suivantes :
Donations-partages : fondamentaux et clauses usuelles, optimisation et liquidation
Florilèges pratiques autour de la donation-partage : aspects rédactionnels et liquidatifs
Focus Expert : taxe et fiscalité d'un acte de donation-partage complexe (2h)
Les liquidations successorales : notions, techniques et anticipation
[1] Cette note reprend celle publiée dans la veille de jurisprudence ALS.not, www.alsnot.fr avec l’autorisation de son directeur de publication.